L’enseignement primaire en Algérie (1830-1962)

Enseignement Primaire

L’enseignement Primaire public.

Dès 1831, Jonnart, membre de l’Institut, propose l’application de l’Enseignement Mutuel, méthode qui est employée à cette époque dans l’armée française, pour alphabétiser les soldats illettrés. En classe, elle consiste à confier le rôle de moniteurs aux grands élèves jugés aptes à expliquer à leurs camarades ce qu’eux-mêmes viennent d’apprendre : les jeunes Français enseigneront leur langue aux musulmans et réciproquement. Cette expérience est un échec ( sur 1324 élèves, 95 arabes seulement, 0,7%) Elle est progressivement abandonnée au profit des écoles maures-françaises.

En 1836 est créée à Alger, la 1ère école Maure-Française de garçons : 60 élèves encadrés par 2 maîtres, le Français enseigne les matières de base, lecture, écriture, grammaire, orthographe et arithmétique. Le maître musulman enseigne la langue arabe et la religion de l’Islam. Les effectifs sont trop réduits, on décide une 3ème tentative : les écoles arabes-françaises.

Le décret du 14 juillet 1850 crée 10 écoles Arabes-Françaises, gratuites 6 pour garçons, 4 pour filles à Alger, Oran, Bône, Constantine, Mostaganem. Ses programmes s’inspirent de ceux de l’école maure-française mais, lecture, écriture, calcul en français et en arabe, avec quelques notions de géographie, sciences naturelles. Le maître adjoint musulman enseigne essentiellement une étude du Coran limitée à l’aspect linguistique.

École publique pour jeunes Algériens vers 1858

 

« Mais l’imperfection des méthodes d’enseignement et surtout la difficulté de recruter des maîtres capables sont un obstacle au progrès de notre influence sur la jeunesse. Ces maîtres, une Ecole Normale Primaire peut seule les leur donner (…) Il est nécessaire d’y placer (dans les écoles) des maîtres initiés à l’usage de l’arabe parlé, à la connaissance générale des mœurs et capables d’adapter leurs méthodes aux habitudes intellectuelles des Indigènes(…) » d’où la création à Alger par le décret impérial du 4 mars 1865 d’une Ecole Normale d’Instituteurs pour les Européens et les Indigènes. Puis avec les Ecoles Normales d’Institutrices de Miliana et d’Instituteurs de Constantine créées en 1874 et 1878 respectivement, les instruments efficaces d’un succès futur sont en place et l’on peut dire avec Ali Mérad que l’année 1880 «  fut (…) le seuil d’une nouvelle ère dans l’évolution culturelle de l’Algérie »

Ecole Normale de La Bouzaréah «(Enseignants)

Depuis 1891, une «section spéciale d’adaptation des Instituteurs français à  l’enseignement des Indigènes », formait par une 4ème année d’école, sur les 15 hectares du domaine, des enseignants qui devaient être à la fois, selon les termes d’un Recteur d’Académie, « instituteurs, infirmiers, agriculteurs, écrivains publics, guides et conseillers d’une population qui les a vénérés… L’Algérie, concluait-il, leur doit beaucoup » d’après le Bulletin de l’Académie d’Alger (nov. 1957 p. 102) (Goinard p. 246)

En  23  ans  d’exercice,  depuis  1883,  au  village  de Taourirt Mimoun, M. Verdy eut 56 de ses écoliers qui devinrent élèves- maîtres à l’Ecole Normale de Bouzaréah.

 

Alors qu’en 1883, malgré l’école primaire, obligatoire, gratuite et laïque, la résistance musulmane, arabe et berbère était toujours aussi vive, allant jusqu’au refus pur et simple « de l’école du diable » au prétexte qu’elle les rendait esclaves, vers 1923, volte face en faveur de l’école française, (beaucoup d’Indigènes aspiraient à un autre mode de vie pour leurs enfants) et en 1961 ils étaient plus de 878 000.

 

En 1886, des Cours Complémentaires d’Enseignement Général furent annexés aux écoles primaires. Ils étaient destinés aux adolescents au-delà de 14 ans et pourvus du certificat d’études et menaient soit au brevet élémentaire soit au concours d’entrée dans les écoles normales

En 1896 furent créés des Cours Complémentaires d’Enseignement professionnel pour lesquels on faisait appel à des maîtres-ouvriers, pour assister les enseignants.

Cependant la fréquentation des écoles par les filles musulmanes restait très marginale : 1%   « Il nous faut, disaient les Musulmans, des femmes et non des cadis pour épouses. »

Mais, vers 1920, le nombre des filles musulmanes scolarisées représentait déjà 10% des élèves indigènes.

Vers 1923, afflux des Musulmans vers l’école française. Il fallut construire des écoles par milliers (1/6 du budget)

L’Ecole républicaine institua deux types d’enseignement :

Type A : – Dans les communes de plein exercice*, l’enseignement est identique à celui de la Métropole. Les petits Musulmans qui souvent parlaient le français, étaient côte à côte avec leurs condisciples européens.

ecole martimprey

Type B : – Dans les communes mixtes**, (celles où les Européens sont peu nombreux) l’enseignement destiné aux Indigènes était axé sur l’apprentissage de la langue française. Une grande place était réservée à des travaux pratiques d’agriculture et d’atelier. Les enfants européens minoritaires étaient instruits avec les Indigènes et apprenaient ainsi l’arabe.

En 1944

les écoles A comptaient 160000 élèves dont 40000 indigènes.

les écoles B comptaient 92000 élèves dont 2000 européens

Cinq ans plus tard, le gouverneur Naegelen ordonnait la fusion des deux types d’enseignement.

 

Ecole d’application 1951/52

Les enfants musulmans de 6 ans ne savent parfois pas un mot de français, surtout dans les petites villes et les villages. Pour qu’ils puissent bénéficier de l’enseignement commun il faut les mettre à même de comprendre le maître, d’où la création en 1947 d’un « Cours d’Initiation », cours « strictement » parallèle au cours préparatoire pour accueillir les enfants dont la langue maternelle n’était pas le français. On employait la méthode utilisée de nos jours pour l’enseignement des langues étrangères : « On montre un objet, on en dit le nom, on fait faire une action et on prononce le verbe qui l’exprime. »

Dès l’année suivante les élèves de cours préparatoire et de cours d’initiation se retrouvaient au cours élémentaire 1ère année.

Pour les enfants du Grand Sud, on avait créé dans le Hoggar l’Ecole Nomade. L’instituteur était attaché à un campement, faisait la classe sous la tente et suivait les gens de cette tribu à chaque déplacement. (Internet)

En 1955, en raison de l’accroissement galopant de la démographie, on crée, dans les zones rurales, des Centres Sociaux, s’inspirant de principes préconisés par l’U.N.E.S.C.O. pour l’éducation de masse. Ils avaient un triple objectif : – l’alphabétisation (lire, écrire, compter) – l’apprentissage professionnel et agricole pour les garçons, ménager pour les filles. – une assistance paramédico sociale, pour les enfants comme pour les parents. En 1960 on comptait 60 centres de 1750 élèves chacun.

Le besoin d’enseignants était tel qu’il fallut créer le Corps des Instructeurs qui bénéficiaient d’une formation spéciale. Ils furent 16000.

 

*Commune de plein exercice : commune régie comme celles de la Métropole par la loi française.

**Commune mixte : commune où les Indigènes sont admis à la Commission Municipale.

 

L’enseignement Primaire Privé.

Il connaît les mêmes vicissitudes qu’en Métropole.

En 1833, Guizot lui donne son existence légale.

Dès le début de la colonisation, les congrégations envoyèrent des missions pour évangéliser. Les religieux français créent presque toujours des écoles ; ces établissements ont, dans bien des cas précédé l’installation des établissements publics.

En 1836,  Trois religieuses installent une école et une infirmerie à Alger.

En 1840, 21 religieuses enseignent 800 fillettes, en même temps qu’elles assument un dispensaire et le service de l’Hôpital Caratine où s’entassaient 500 malades.

En 1850, la loi Falloux consacre l’existence légale de l’enseignement privé.

En 1854, 14 Pères Jésuites et 15 Frères Coadjuteurs ouvraient des écoles en Kabylie

En 1866, 18000 enfants étaient instruits dans les établissements religieux.

En 1872, les Pères Blancs ouvrent 5 nouvelles écoles en Kabylie. Pères Blancs et Sœurs Blanches en ouvrent d’autres dans le Sud.

En 1882, expulsion des Jésuites puis d’autres congrégations sont progressivement interdites, surtout après les lois de 1902-1904, non sans dommages pour les enfants dont le nombre augmentait (au début du siècle, 18000 petits Européens ne pouvaient être scolarisés, faute de locaux et de maîtres).

En 1886, la 3ème République laisse subsister l’enseignement privé mais lui refuse toute subvention.

En 1892, 300 Trinitaires instruisent 6000 élèves tout en assurant le service des hôpitaux.

En 1905, séparation de l’Eglise et de l’Etat. Celui-ci ne priva pas le Clergé d’un modique traitement car il l’assurait aux desservants musulmans.

En 1951, la loi Barangé accorde les mêmes allocations aux 2 formes d’enseignement (libre et privé).

En 1961, 3,7% des enfants scolarisés le sont dans le privé

Chronologie.

av. 1830 Ecoles coraniques : des tolbas (maîtres) faisaient réciter en chœur des sourates, apprenant lecture et parfois écriture aux seuls garçons (1 sur 5). Ecoles juives : enseignement de la Torah en arabe dialectal.
1833 Paris ouvre à Alger de la 1ère école de type Mutuel. Rôle de moniteurs confiés aux grands élèves jugés aptes. Création de 4 écoles semblables à Oran, Kouba, Dély-Ibrahim, Bône. Adoptées par les Juifs mais refusées par les musulmans.
1836 Création de la 1ère école « maure-française » de 60 élèves encadrées par 2 maîtres, un Français et un Musulman. Ecoles de même type à Bône et Oran.
1839 Création d’un collège arabe à Paris.
1845 1ère école de filles musulmanes, créée par Mme Allix-Luce, « à ses frais » c’était le 1er « ouvroir » (150 élèves).
1846 Première session du brevet de capacité (CAP).
1848 L’Académie d’Alger est créée : 286 écoles communales libres ou publiques, ouvertes bien entendu aux musulmans.

16000 élèves + 1000 dans 20 asiles,

1850 14/ 07 : un décret crée 10 écoles arabes-françaises, 6 pour garçons, 4 pour filles.

30/09 : un autre décret intéresse les écoles traditionnelles arabes.

1855 Fondation d’une école de mousses indigènes.
1856 Mlle N’Fissa bent Ali, 1ère musulmane à obtenir le brevet d’institutrice.
1865 Fondation de la 1ère Ecole Normale d’Instituteurs pour Européens et Indigènes à Alger.
1873 Mlle Fauconnet passe l’examen du brevet d’Arabe.
1874 Fondation de l’Ecole Normale de Jeunes Filles à Miliana.
1875 Décret du 15 août : L’enseignement primaire est gratuit dans les écoles « arabes-françaises ».
1878 Ecole Normale d’Instituteurs à Constantine.
1882 Création de l’école d’agriculture de Rouïba.
1883 Application de la loi sur l’enseignement primaire gratuit, obligatoire et laïque. Institution du certificat d’études primaires.
1886 Annexion de Cours Complémentaires d’Enseignement Général aux écoles primaires.
1885-1891 Réorganisation de l’enseignement « des indigènes ». Création à l’Ecole Normale d’une section spéciale d’adaptation des instituteurs français à l’enseignement des Indigènes. ..
1896 Création  de Cours Complémentaires d’Enseignement Professionnel dits « d’apprentissage ».
1907 Création de l’Ecole Normale d’agriculture de Maison Carrée qui succède à celle de Rouïba.
1909 Création de Classes de Perfectionnement pour Enfants Inadaptés.
1944 On créa un « Cadre spécial » ouvert aux jeunes gens pourvus de la 1ère partie du baccalauréat ou de brevet élémentaire ou du diplôme d’études des médersas.
1947 Création des « cours d’initiation ».
1950 Une école nomade est créée dans le Hoggar. Elle était composée d’une section sédentaire (dans le campement de l’Aménokal) et de deux sections nomades dans les montagnes du Hoggar)
1955 Création des Centres Sociaux
1956 Le besoin d’enseignants était tel qu’il fallut créer le Corps des Instructeurs qui bénéficiaient d’une formation spéciale. 

La rébellion affectant durement l’enseignement, l’armée en accord avec le Rectorat d’Alger rouvre les écoles avec l’aide d’instituteurs civils et militaires.

 

Documents.

page Gaulois

 

Classes de pacification par l’armée

En 1956 la rébellion affecte durement l’enseignement primaire, détruisant ou endommageant 300 écoles, provoquant la fermeture de 400 autres par mesure de sécurité. L’armée en accord avec le Rectorat d’Alger, rouvre les écoles avec l’aide d’instituteurs civils et militaires.

En 1959 : 1200 enseignants militaires animent un millier d’écoles et de centres de formation où 75000 enfants sont accueillis

 

Mme  DAMON de Guyotville, institutrice à N’Gaous (près de Batna avec ses élèves en 1930-1931 (Photo de Henri AGULLO)

 

Ecole Gaston Julia (Sidi Bel Abbès) CM2 1961-1962

 

L’instituteur ….

 

 

 

 

 

 

 

 

 

…  je présente avec plaisir ce livre qui évoque un passé de ma Kabylie et qui témoigne du cheminement destiné à unir en moi deux races et deux cultures.

                                                                                                           Juin 1979 Ibazizen

Le pont de Bereq’mouch, c’est en Kabylie, au fond d’un ravin vertigineux, le petit ouvrage de pierre qu’il faut franchir pour atteindre le premier village français : Fort-National.

Le bond de mille ans, c’est le cheminement obstiné, passionné d’un Berbère vers l’Occident, vers la France.

Petit-fils d’un guerrier qui combattit notre pays, fils de l’un des six premiers instituteurs de Grande Kabylie, Ibazizen est un des fruits exemplaires de la rencontre de sa race et de la culture française….

… une fois franchi le pont de Bereq-mouch, – son Rubicon – il trouvera une seconde patrie. Il ne s’agit pas là d’aliénation mais d’une libération enrichissante, d’un épanouissement de la « berbéréïté » au sein de la « francité ».

L’enfant Kabyle deviendra Conseiller d’État à Paris

 

Mouloud Ferraoun, recevant le prix littéraire de la Ville d’Alger, pour son livre  « Le fils du Pauvre » disait :

«Je suis heureux d’avoir obtenu le prix littéraire de la Ville d’Alger…—Votre choix … est un hommage à l’école primaire puisque l’un de ses enfants, l’un des plus humbles sans doute, qui n’a appris le français que sur ses bancs, est reconnu digne, aujourd’hui, de recevoir un prix littéraire…

« Quoi qu’il en soit, j’aimerais vous redire ma fierté, ma joie et mon émotion. Le lauréat, Messieurs, n’est pas l’instituteur du bled qui a retenu vos suffrages, mais l’école française d’Algérie dont il est un produit authentique. Et c’est en son nom que je vous remercie. »

 

Abderrahmane Farès

Instituteur en Algérie, déclarait en 1954 : « S’il est en Algérie, un domaine où l’effort de la France ne se discute pas, c’est bien le domaine de l’Enseignement. On peut et on doit dire que l’Ecole a été un succès certain. Les vieux maîtres, les premiers instituteurs ont apporté toute leur foi pédagogique, sans arrière pensée et leur influence a été extrêmement.

 

 

 

 

 

 

Evolution des effectifs de l’enseignement PrimairePublic en Algérie de 1879 à 1961 en milliers d’élèves (sans les C.E.G.)

 

Nos sources.

1830-1962 des enseignants d’Algérie se souviennent

Pierre Goinard : Algérie : l’œuvre française.

http://histoire.piedsnoirs.org

HISTORIA spécial : juin 1987