LA MÉDECINE en ALGÉRIE
Situation sanitaire initiale
Après des siècles de guerres intestines et 300 ans d’occupation turque, il ne restait en Berbérie que quelques vestiges de la médecine arabe, brillante au Moyen-Âge, héritière du patrimoine hellénistes.
Par contre il arrivait que séjournât auprès d’un Consul quelque praticien piémontais, français, espagnol ou britannique comme Bowen auquel sera confiée la direction du premier hôpital civil aménagé par les Français.
C’est un étudiant allemand Pfeiffer, captif en 1826, devenu médecin du Khaznadji, qui soigna les blessés turcs et indigènes du débarquement, avant de les confier aux neuf chirurgiens français.
En 1880 le docteur Laveran découvre l’agent du paludisme
Médecins de Colonisation
Ce corps fut créé en 1853 par le Maréchal de Saint Arnaud.
A partir de 1944 les médecins de colonisation furent appelés Médecins de « l’Assistance Médico-Sociale d’Algérie » (A.M.S.A)
Leurs journées étaient surchargées :
– consultations (40 à 50 malades)
- distributions de médicaments (le médecin était aussi pharmacien)
- visites des malades hospitalisés,
- interventions de petite chirurgie,
Trois fois par semaine, consultations plus spécialisées pour le paludisme, le trachome, la tuberculose, les maladies vénériennes.
Chaque semaine, visite des prostituées.
Entre ces séances, tournées hebdomadaires dans les douars.
Tous les 2 mois, inspection des écoles.
Quatre fois par an, assistance aux mères et nourrissons, tournées de vaccination.
Il est bon de rappeler l’aide appréciable, que les instituteurs (surtout ceux du Bled) apportèrent au Corps Médical souvent surchargé.
Les soins de la France de l’enfant au vieillard.
La mère supérieure des Sœurs de Saint Vincent de Paul fait une piqûre à un centenaire (Ténès 1956).
Surprenant paradoxe, malgré le conflit, le développement matériel et sanitaire de l’Algérie était partout poursuivi. En 1958 le Plan Quinquennal mis au point sous la présidence de monsieur Salah Bouakouir (polytechnicien) prévoyait une place importante pour les réalisations de la Santé publique ; leur exécution fut entreprise et continuée jusqu’au bout.
Ce qui caractérisa fortement cette période fut l’importance de la médecine militaire dans le bled. Pendant près de 6 ans 700 jeunes médecins et 1300 infirmiers du contingent vinrent en aide aux équipes civiles déjà en place et débordées. Ils participèrent activement aux Sections Administratives Spécialisées ( S.A.S.) dans certains villages et les 1000 cités de regroupement.
Grâce à cette action combinée en pleine guerre, chaque mois plus d’un million de consultations étaient distribuées en Algérie aux populations indigènes.
Dépassant à peine 2 000 000 en 1872, le nombre des Indigènes avait plus que quadruplé en moins d’un siècle : 9 000 000 en 1962.
Les médecins et les chirurgiens n’avaient pas seulement refoulé les épidémies, éradiqué les endémies diffuses, réduit la mortalité infantile, sauvé des vies condamnées, ils avaient conquis le cœur des populations.
L’expansion hospitalière
1913 – 5593 lits
1929 – 12000 lits
1953 – 24284 lits
1959 – 30793 lits
1960 – 31042 lits (1 pour 300 habitants) :
– 1 hôpital de Faculté (2000 lits),
– 2 hôpitaux de chefs-lieux de plus 1000 lits,
– 112 hôpitaux polyvalents dont 23 Centres Régionaux ; 14 spécialisés dont l’hôpital psychiatrique porté à plus de 1000 lits,
– 9 établissements privés dont 5 spécialisés.
Auxquels il faut ajouter, sanatoriums et préventoriums.
La Santé publique représentait une charge financière écrasante : le 1/10 du Budget de l’Algérie.
Le Corps médical en 1961, comprenait : 2057 médecins civils,
700 médecins militaires,
Des comparaisons s’imposent :
les autochtones des USA étaient plus de 1 000 000 à l’arrivée des Blancs et 237 000 en 1900. Il ne reste aujourd’hui que 280 000 Indiens au Canada.
Hôpital de Constantine
Beni Ounif
En 1906 le médecin Henry Foley est affecté à Beni Ounif de Figuig, petite oasis saharienne située dans le Sud Oranais à la frontière du Maroc.
Le Docteur Henry Foley examinant un malade
Beni Ounif en 1907
Dans les Territoires du Sud.
1918 – 15 infirmeries
1928 – 23 infirmeries, toutes dans des locaux préexistants,
puis constructions en dur
1960 – 28 infirmeries-dispensaires pourvues de matériel moderne
avec salle d’opération, maternité, pharmacie. 25 d’entre
elles possèdent une installation radiologique.
Création de dispensaires anti-ophtalmiques.
Préventorium de Bugeaud
Les religieuses soignantes
Dès les premières années les religieuses soignantes arrivèrent en Algérie. Plus tard Mgr Lavigerie et ses sœurs missionnaires d’Afrique ouvrirent la voie à l’hospitalisation dans le bled en fondant 4 établissements : dans la vallée du Chélif à St Cyprien des Attafs, en Kabylie aux Beni-Menguellet, à Arris dans l’Aurès et à Biskra.
Grande a été la part des religieuses dans la diffusion de la médecine auprès des trois communautés. Les autochtones en particulier découvraient en elles une vocation, admirable et déroutante, sans équivalence dans l’Islam ou le Judaïsme. Ces femmes renonçaient à toute vie familiale pour se consacrer aux malheureux, « des anges descendus du ciel » disaient les Musulmans.
En 1834 le docteur Maillot prescrit la quinine pour lutter contre le paludisme
Camion médical de la Croix-Rouge dans les faubourgs d’Alger.
Drapeau français et Croix-Rouge française : camion médical dans le bled en septembre 1959 à Taliounine, vallée de l’Isser.
Vaccination des jeunes enfants
Réalisations privées
Parallèlement au développement des Hôpitaux Publics, dès le début du siècle, avaient été fondées des Cliniques Privées bien aménagées et équipées (Dr Stumpf à Alger, Dr Abadie et Jarsaillon à Oran).
Par la suite elles se multiplièrent même dans les villes moyennes. Leur essor rivalisa avec celui des hôpitaux. Avec les Maisons d’accouchement elles dépassaient la centaine.
De surcroît la Sécurité Sociale s’installant en Algérie les Caisses Professionnelles ne tardèrent pas à construire des centres de Santé ainsi que, dans la banlieue d’Alger, une importante Clinique de pneumologie.
Vaste complexe hospitalier de Mustapha à Alger composé des 28 Services des professeurs de la Faculté de Médecine
La lutte contre les maladies locales
Sous l’autorité du Directeur de la Santé Publique du Gouvernement Général, en étroite liaison avec l’Institut Pasteur, une action énergique et concertée vint épauler celle des médecins administratifs dans le bled et dans les villes.
Le paludisme.
En 1830 les fièvres palustres étaient un fléau généralisé, pas seulement autour des marécages. La rate énorme du paludéen (splénomégalie) finissait par entraîner la mort.
Dès 1834 le docteur Maillot se fit l’apôtre de la quinine pour lutter contre le paludisme. Plus tard un service antipaludique comprenant un médecin directeur et quatre médecins paludologues dans chaque département, fut organisé. Il s’occupait de mesures d’assainissement : – suppression des eaux stagnantes ou peuplement des étangs et marais par des gambouses (petits poissons dévoreurs de moustiques) – épandage de DDT par avions et hélicoptères – distribution de comprimés à base de quinine aux personnes les plus exposées, près des cours d’eaux et des lacs.
Le paludisme n’était pas complètement éradiqué mais ne tuait plus.
La variole.
Elle y était à l’état endémique, tuant une fois sur deux, laissant après elle nombre d’aveugles.
L’immense travail de vaccination l’a fait disparaître chez les Européens, mais non totalement chez les Indigènes, qui s’y dérobaient encore quelquefois.
La syphilis.
Elle atteignait 60 à 80% de la population sous des modalités parfois sévèrement mutilantes ( 2 trous béants à la place du nez, perforation du palais)
Dès 1831 un dispensaire fut créé contre cette maladie et les maladies vénériennes.
Pour lutter contre ces fléaux, 164 dispensaires furent organisés. Ils étaient reliés aux laboratoires départementaux.
Dès 1943 les antibiotiques commençaient à éradiquer ces affections.
Le kyste hydatique.
Le kyste hydatique du foie de la rate et du poumon, très répandu, surtout dans les régions d’élevage, était généralement mortel. Il régressa très nettement grâce au contrôle des abattages des bovins et ovins par les vétérinaires, aux médicaments, aux progrès techniques des chirurgiens et devint presque toujours guérissable.
Le trachome.
Il entraînait beaucoup de cécités (25 aveugles pour 1000 habitants, 1 sur 100 dans le Sud)
La lutte antitrachomateuse et contre les autres affections oculaires contagieuses fut entreprise dans 90 centres de traitement. C’est surtout l’action en milieu rural et l’inspection médicale des écoles qui ont contribué au succès de cette lutte contre un des fléaux sociaux les plus graves de l’Algérie.
Six formations mobiles comprenant chacune un tracteur Diésel et un semi-remorque aménagé en salle d’ophtalmologie permettaient des missions dans les endroits reculés.
Le typhus.
L’extermination des poux et des puces était assurée, conjointement aux hôpitaux auxiliaires par 121 équipes communales et 23 équipes de secteurs. En 1941-42, les équipes d’épouillement étant désorganisées par la guerre, une épidémie de typhus éclata. 4 400 000 personnes reçurent le vaccin préparé par l’Institut Pasteur. Le mal fut enrayé.
La Mission Ophtalmique Saharienne (M.O.S.)
De 1945 à 1962 le Dr Renée ANTOINE sillonne les Territoires du Sud de la frontière marocaine à la frontière Libyo-Egyptienne et de la lisière du Sahara à Tamanrasset avec 2 camions Renault équipés l’un en salle de consultation, l’autre en salle d’opération. En 38 ans elle a parcouru 87500 km, donné 43800 consultations, pratiqué 4259 opérations.
Transfusion Sanguine
Un grand colon, le sénateur Borgeaud fit construire et équiper à ses frais, une usine de lyophilisation sur son domaine de La Trappe, ce qui permit, avant la fin de la guerre de 1939-1945 de livrer du plasma lyophilisé.
Dès 1951, 300 000 donneurs de sang étaient inscrits à Alger dont 1/3 de musulmans.
En 1962, le centre de La Trappe disposait de 8 lyophilisateurs.
Les musulmans qui avaient boudé la médecine au début, y vinrent de plus en plus. A la Clinique Chirurgicale Infantile, en 1956 ils occupaient 83% de lits contre 12% en 1910.
Les autres Institutions Médico-Sociales
Elles sont représentées par :
L’Assistance Médicale gratuite.
Les soins aux pensionnés de guerre, selon la même législation qu’en France métropolitaine.
La législation de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
L’obligation des services médicaux du travail dans les entreprises dans les mêmes conditions qu’en Métropole.
Chronologie
1833 | Très tôt les médecins militaires avaient ouvert des hôpitaux (ou des locaux annexes) pour donner des consultations aux Indigènes.
Ebauche d’Enseignement Médical par le jeune major Baudens pour les cours d’Anatomie et Stéphanopoli pour ceux de Physiologie. |
1834 | Le docteur Maillot, à Bône, se fit l’apôtre de la quinine, la substituant à l’administration de la simple écorce de quinquina, contre le paludisme. |
1835 | Le docteur Pouzin fit monter à Boufarik une vaste baraque en planche pour y soigner les Indigènes. Elle fut remplacée en 1836 par l’Hôpital militaire du camp d’Erlon.
Le baron Vialar entreprit une collecte en France, afin de secourir les Musulmans « comme des frères ». Sa sœur Emilie et trois compagnes de l’Ordre de St. Joseph vinrent à Alger pour soigner des cholériques. L’Ordre essaima à Bône et à Constantine. Près de Fort de l’Eau, le prince polonais Mir, aménageait dans son domaine une infirmerie où étaient soignés gratuitement Européens et Indigènes. |
1840 | Les Sœurs de la Doctrine Chrétienne se fixent dans le Constantinois jusque dans de très petits villages (Akbou). |
1842 | Les Filles de la Doctrine Chrétienne arrivent à Alger ainsi qu’à Constantine. |
1843 | Les Trinitaires se fixèrent à Oran. Plusieurs moururent du Choléra en 1849. |
1845 | 108 médecins militaires sont remplacés par des médecins fonctionnaires. |
1848 | Début d’Enseignement Obstétrique dispensé en langue arabe par une sage-femme madame Mahé. |
1853 | Création par le gouverneur Randon du Corps des « Médecins de Colonisation »
Un legs dû à Fortin d’Ivry permit d’aménager dans les jardins de Mustapha Pacha des baraquements abritant 600 lits. |
1857 | Le 4 août, Création de l’Ecole Préparatoire de Médecine et de Pharmacie d’Alger, (rattachée à la Faculté de Montpellier). Un des principaux rôles de cet Etablissement sera « l’éducation médicale des jeunes indigènes » Il deviendra Faculté en 1909. |
1862 | Le docteur Guignet se fait le pionnier de la lutte contre les affections oculaires. |
1878 | Des pavillons en dur furent édifiés sur 8ha des jardins de Mustapha Pacha : 14 bâtiments se faisaient face. |
1880 | A Constantine le docteur Laveran découvre l’agent du Paludisme (l’hématozoaire). Il recevra le prix Nobel en 1907. |
1891 | A Alger le docteur H. Vincent organise un laboratoire de bactériologie ( le premier de l’armée). Il étudie la fièvre typhoïde et met au point un vaccin contre la maladie. Il montre la nature fuso-spirillaire de la grave angine qui porte son nom. |
1894 | Fondation d’un Institut Pasteur à Alger par les professeurs Trolard et Soulié pour assurer les vaccinations antirabique et antivariolique. |
1900 | Une première campagne prophylactique est entreprise à l’est d’Alger (Alma) |
1904 | Création du « Service Algérien d’Etudes Antipaludiques » par le Gouverneur Général Jonnart. |
1909 | L’Ecole de Médecine devient Faculté et ne cesse de se développer. Le nombre de ses chaires augmente jusqu’à être porté à 35 en 1959.
L’Institut Pasteur d’Alger devient une filiale de celui de Paris. Albert Calmette en est nommé directeur aidé par le docteur Ed. Sergent. Il est ensuite confié à Ed. Sergent qui le dirigera de 1912 jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. |
1909-1910 | A Beni-Ounif de Figuig le docteur H. Foley prouve que le typhus est transmis par le pou et décrit le virus avec le docteur Ed. Sergent. |
1912 | Un second hôpital général, lui aussi pavillonnaire sortit de terre à Hussein-Dey dans un beau domaine fleuri légué par son généreux propriétaire Joseph Parnet. Dans le même temps Oran Constantine et Bône disposaient également d’un grand hôpital. |
1924 | Création d’un Corps des Infirmières Visiteuses Coloniales |
1927 | L’œuvre dite des « Mères et Nourrissons » est créée. |
1934 | Création du Corps des Auxiliaires Médicaux Indigènes dénommés par la suite Adjoints Techniques « de la Santé ». Ils furent pour la plupart d’excellents collaborateurs.
La même année sera décidée la formation « d’Infirmières Visiteuses Indigènes d’Hygiène Sociale ». Les familles musulmanes ont longtemps boudé cet enseignement puis s’y sont enfin résolues |
1935 | La Société des Nations fait appel à Edmond Sergent pour présider la Commission Mondiale du paludisme.
Edification boulevard de Verdun d’une Clinique-Ecole par la Croix-Rouge et les Sœurs Blanches. |
1936 | Création par des Sœurs Blanches d’un Hôpital dispensaire intercommunal à El-Affroun en Mitidja
Fondation d’un Centre Psychiatrique modèle de 712 lits à Blida-Joinville. |
1942 | Le vaste dispensaire « Barbier-Hugo » de la Croix-Rouge devient le premier Hôpital privé consacré à la seule neuro-chirurgie (75 lits).
Création d’un Centre d’Assistance Ophtalmologique Rural à El-Affroun |
1945 | Mise sur pieds de la « Mission Itinérante Ophtalmologique Saharienne » (M.O.S ) du docteur Renée Antoine. |
1950 | La Mutualité Agricole remet au Gouvernement Général six formations mobiles (tracteur semi-remorque aménagé en salle d’ophtalmologie) permettant des missions dans des endroits reculés. |
1956 | Ouverture d’un Centre de Rééducation chirurgicale près de Tixerain, qui avait peu d’équivalent en France à cette époque (120 lits, 60 paraplégiques) |
1958 | Ouverture à Alger d’Ecoles d’Anesthésie et de Kinésithérapie.
Création d’une Faculté de Médecine à Oran et à Constantine. |
1959 | Construction d’un Centre de Chirurgie Cardio-Respiratoire à Beni-Messous. |
1960 | Installation d’une Maternité Moderne conjointe à une Ecole de Sage-femmes à Hussein-Dey. Elle fut inaugurée … aussitôt après l’indépendance ! |
Nos sources :
Pierre Goinard : Algérie : l’œuvre française.
Piedsnoirs-aujourd’hui.com
Ph. Héduy : Algérie française
Paul Doury ; Henry Foley